Repenser le modèle d’affaires, piloter la performance globale, agir et communiquer.

Tels sont les 3 objectifs de la comptabilité Triple Capital. Mais de quoi s’agit-il exactement ? Décryptage dans cet article.

Aujourd’hui, nous ne connaissons la comptabilité que sous le prisme de la Finance : l’entreprise gère des flux et des capitaux financiers, et produit un certain nombre d’indicateurs (appelés aussi KPI : Key Performance Indicator) pour juger de sa bonne santé financière. On retrouve ces indicateurs dans des documents produits en fin d'exercice comptable tels que le compte de résultats ou le bilan. Mais à y regarder de plus près, aucun de ces documents ne mentionne les ressources sociales ou environnementales qu’elle utilise pour produire ses biens et services, alors qu’elles lui sont pourtant essentielles. Et surtout, alors qu’elles sont de plus en plus limitées !

Comment alors rendre compte de la façon dont l’entreprise produit un résultat financier, et de la manière dont elle impacte pour cela son environnement écologique et social ?

Plusieurs modèles de comptabilité Triple Capital émergent ces dernières années et proposent de prendre en compte 3 axes dans la comptabilité de l’entreprise : l’axe économique, l’axe social et l’axe environnemental

Nous vous proposons de vous présenter le modèle LIFTS, qui a été créé par la Chaire Performance Globale Multi Capitaux d’Audencia, dirigée par Delphine Gibassier.

Le modèle LIFTS de la comptabilité Triple Capital repose sur plusieurs principes : 

  • les flux physiques : le modèle n’utilise que des unités physiques pour représenter une réalité (émissions de GES, nombre de personnes concernées par un sujet social,...)
  • l’intégration dans le système comptable : le modèle LIFTS s’appuie en premier lieu sur les enregistrements comptables existants de la comptabilité en partant du principe que les transactions qui ont un impact sur la situation financière de l’entreprise servent à repérer les impacts sociaux et environnementaux.
  • la chaîne de valeur : ou autrement appelée le principe de la responsabilité étendue. Le modèle LIFTS doit intégrer les impacts des décisions de l’entreprise sur le périmètre de sa chaîne de valeur.
  • la non-substitution : les limites planétaires et les fondations (voir ci-dessous)  constituent des catégories ayant la capacité d’agir les unes sur les autres, et il faut les traiter toutes ensemble et toutes comme étant des catégories distinctes.
  • la théorie du donut

Le pilier de la comptabilité Triple Capital : la théorie du Donut

Pour comprendre les systèmes planétaires, il faut s’imaginer un corps humain. Ce dernier, si on le simplifie, fonctionne grâce à un certain nombre d’organes vitaux : le cœur bien évidemment, mais aussi les reins, le foie, les poumons, etc… Si l’un de ces organes venait à défaillir, notre corps fonctionnerait moins bien et notre équilibre physique s’en trouverait affecté. En plus de cela, si nous ne faisons rien, deux phénomènes pourraient se produire :

  • à un moment précis, l’organe deviendrait trop malade et ne pourrait plus être guéri. Il s’agit d’un point de bascule.
  • l’organe malade pourrait avoir un impact sur un certain nombre d’autres organes et les faire dysfonctionner également.

Le principe est quelque peu similaire pour les systèmes planétaires : un certain nombre de processus sont impliqués dans le fonctionnement du système Terre et franchir chaque limite augmente le risque de déstabiliser l’environnement planétaire de manière irréversible, avec des impacts majeurs pour les êtres vivants. C’est ce que les scientifiques appellent les limites planétaires :

Les 9 limites sont les suivantes :

  • le changement climatique,
  • l’érosion de la biodiversité,
  • la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore,
  • le changement d’usage des sols,
  • le cycle de l’eau douce,
  • l’introduction d’entités nouvelles dans la biosphère,
  • l’acidification des océans,
  • l’augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère,
  • l’appauvrissement de la couche d’ozone

Aujourd’hui, six limites sur les neuf sont franchies (les 6 premières de la liste ci-dessus).

La Théorie du Donut, élaborée par Kate Raworth, ajoute aux limites planétaires la notion de planchers sociaux. En effet, au cœur du donut se trouvent les besoins essentiels de chaque être humain. Kate Raworth définit ainsi 12 besoins de bases dont personne ne devrait jamais manquer :

  • l'alimentation,
  • la santé,
  • l'éducation,
  • le salaire et le travail,
  • la paix et la justice,
  • l'opinion politique,
  • l'égalité sociale,
  • l'égalité des sexes,
  • le logement,
  • le capital social,
  • l'énergie,
  • l'eau

Ce premier cercle est donc nommé « plancher social » : il constitue le but à atteindre pour assurer l’épanouissement de chaque individu.

Ainsi, entre les limites planétaires et le plancher social, se situe un “espace sûr et juste pour l’humanité”.

La comptabilité Triple Capital, ou comment repenser son modèle d’affaires

La comptabilité Triple Capital se base donc sur ces limites planétaires et ce plancher social pour fonder sa théorie.

Un mécanisme de calcul d’endettement social et environnemental

Le principe simplifié de la comptabilité Triple Capital est le suivant :

  • Une limite / fondation correspond à un indicateur
  • Un budget est fixé pour chaque limite / fondation
  • Si la limite / fondation est dépassée : l’entreprise s’endette.

La comptabilité Triple Capital doit par ailleurs respecter une méthodologie bien précise :

Préparation

Après avoir défini un périmètre (notamment relatif la chaîne de valeur et aux limites planétaires éligibles), l’entreprise devra rassembler l’ensemble des documents financiers à sa disposition, et notamment le plan comptable du Grand-Livre.

Par ailleurs, elle devra définir les budgets à utiliser dans ses calculs. Par exemple, pour le budget de CO2, la méthode LIFTS recommande de s’appuyer sur les Science-Based Targets.

Traitement

Cette étape doit permettre de catégoriser les différents types d’écritures (salaires, ventes, formations, achats,...)

Viendront ensuite les affectations des données physiques à ces écritures. Pour les informations non connues, des hypothèses seront posées.

Calculs

Grâce à une mécanique de calcul, les données comptables sources catégorisées seront affectées à des données d’activités et les résultats constitueront les journaux extra-financiers.

À la fin du processus, les éléments de restitution sont les suivants :

  • Un bilan non financier présente le total d’actifs, de stocks et de dettes restant en fin de période, équilibré avec le résultat net de la période. Ce résultat est la différence entre le budget alloué pour la limite ou la fondation (minimum ou maximum à respecter) et la consommation réelle de ce budget.
  • Un compte de résultats non financiers le présente aussi avec le cumul des charges et produits. Comme en comptabilité financière, les résultats sont analysés et mis en contexte dans les annexes.

La comptabilité Triple Capital, ou comment repenser son modèle d’affaires

Dans cet exemple, partant d’un budget prévisionnel de 387 tC02e (élaboré à partir de la SBTi) et en ayant émis 403 t, l’entreprise a généré une dette de 16 tCO2e. Cette dette apparaîtra dans son Bilan non financier.

Un visuel est également réalisé sous forme de donut des limites planétaires et fondations sociales, en y représentant le respect ou non des limites et fondations étudiées.

La comptabilité Triple Capital, ou comment repenser son modèle d’affaires

Les méthodes de comptabilité en Triple Capital reposent beaucoup sur des hypothèses. À l’heure actuelle, ces méthodes sont en cours d’enrichissement et ont été testées en situation réelle dans certaines grandes entreprises (Danone, par exemple), avec l’idée de bénéficier de retours d’expérience significatifs et d’aboutir à une méthode absolument fiable. La comptabilité en Triple Capital ne constitue aujourd’hui aucune obligation pour les entreprises et consiste en une démarche volontaire.

L’enjeu principal à l’avenir est de permettre à n’importe quelle entreprise de réaliser une comptabilité en Triple Capital et de lui offrir la possibilité :

  • de faire preuve d’une transparence totale vis-à-vis des investisseurs et des parties prenantes sur son impact économique, social et environnemental
  • de contribuer au bien commun : nous pouvons aisément imaginer qu’une entreprise qui réalise une comptabilité en Triple Capital se servira des résultats obtenus pour engager des actions en faveur de la limitation de ses impacts sociaux et environnementaux.

A l’instar de la CSRD qui devrait être un levier pour la transformation des entreprises, la comptabilité en Triple Capital opte pour une transparence totale sur ce qui constitue la richesse et les ressources de l’entreprise, qu’elles soient financières certes, mais également sociales et environnementales. Une entreprise largement endettée sur ces deux derniers aspects devra nécessairement revoir son modèle d’affaires et se fixer de nouveaux objectifs afin de réduire l’endettement. Enfin, il est important de rappeler que le périmètre de la comptabilité en Triple Capital ne concerne pas que l’entreprise elle-même mais toute sa chaîne de valeur, qu’elle devra donc piloter pour améliorer ses indicateurs.

Ces initiatives, aujourd’hui surtout objets d’études de faisabilité, pourraient devenir une nouvelle norme demain pour mieux piloter la performance globale de l’entreprise et agir plus efficacement pour la planète.

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